Je n’avais que le néant – Shoah par Lanzmann : le film de Guillaume Ribot qui éclaire l’atelier de Shoah

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Bref, tendu, d’une clarté rare : Je n’avais que le néant – Shoah par Lanzmann de Guillaume Ribot n’illustre pas Shoah — il en éclaire la fabrication. Le film accompagne le monument de Claude Lanzmann en révélant son geste de mise en scène, ses doutes, sa méthode… et la nécessité d’inventer des formes pour faire surgir l’irréfutable.

Claude Lanzmann au volant d’une voiture à l’entrée du village de Treblinka en face de la gare.
Treblinka, Pologne, juillet 1978.

Ce panneau a bouleversé Claude Lanzmann. Dans ses Mémoires, il écrit : « Je repris la route, continuant à conduire très lentement, et soudain j’aperçus une pancarte avec des lettres noires sur fond jaune qui indiquaient, comme si de rien n’était, le nom du village dans lequel nous entrions : «TREBLINKA». Autant j’étais resté insensible devant la douce pente enneigée du camp, ses stèles et son blockhaus central qui prétendait marquer l’emplacement des chambres à gaz, autant ce simple panneau d’ordinaire signalisation routière me mit en émoi. Treblinka existait ! Un village nommé Treblinka existait. Osait exister. Cela me semblait impossible. »

Le film s’appuie sur 220 heures de rushes conservées au United States Holocaust Memorial Museum. Ces images inédites révèlent ce qu’on ne voit jamais : les tâtonnements, les mises en place, les accidents du tournage.

On y découvre Lanzmann en enquêteur obstiné : traquant ses témoins comme un détective, piégeant les bourreaux grâce à des caméras dissimulées, déclenchant la mémoire par la reproduction des gestes – comme ce moment où Abraham Bomba, survivant de Treblinka, reprend le geste de couper des cheveux pour faire remonter l’indicible.

Nous avons été particulièrement touchés par son témoignage, lorsqu’il confie à la caméra :

« Lorsque je suis sorti du camp d’extermination de Treblinka, et que je suis allé travailler dans un salon de coiffure, lorsqu’une femme s’asseyait sur une chaise… habillée… cela me faisait drôle parce que j’avais coupé les cheveux de plusieurs centaines de femmes, toutes nues, sans aucun vêtement. Au début, je ne savais pas comment commencer à couper les cheveux d’une femme assise, habillée comme une femme devait l’être. Émotionnellement, c’était difficile de m’y habituer. Il m’a fallu beaucoup de temps pour réussir à couper les cheveux d’une femme qui portait des vêtements. »

Cette phrase, d’une simplicité glaçante, révèle à quel point la violence de l’expérience avait bouleversé la perception la plus élémentaire du quotidien. C’est toute la force du dispositif de Lanzmann : faire surgir la vérité par la mise en scène d’un geste, et laisser à la parole le poids de son effroi.

Screenshot

L’image, restaurée à partir des interpositifs 16 mm, est numérisée en 4K et surtout, respecte scrupuleusement le grain originel. Cette texture organique, légèrement vibrante, ne gomme ni les aspérités ni les cicatrices de la pellicule. Elle donne au film sa force mémorielle : à l’écran, ce ne sont pas des images lissées mais des fragments de temps.

Dans une époque où tant de restaurations tendent à lisser, ce choix fait sens : il s’agit de préserver la matérialité d’une enquête et l’épaisseur du réel tel qu’il fut filmé.

Claude Lanzmann interviewe Henryk Gawkowski, un ancien conducteur de locomotive polonais qui conduisait les trains de déportations vers le camp de Treblinka. Treblinka, Pologne, juillet 1978.

Avec ses 94 minutes, Je n’avais que le néant se distingue de la monumentalité des dix heures de Shoah. Ce n’est pas un résumé, mais une porte d’entrée :

  • pour ceux qui ne connaissent pas Shoah, c’est un appel à découvrir l’œuvre,
  • pour ceux qui la connaissent, c’est une expérience complémentaire, révélant les coulisses et les obsessions d’un cinéaste au travail.

C’est un film poignant et assimilable, qui donne envie de transmettre, de discuter, de revoir Lanzmann.

Le film frappe aussi par ce qu’il révèle de l’humain : des nazis en larmes face aux caméras cachées, incapables de fuir la vérité de leurs gestes ; des survivants dont les paroles, arrachées parfois douloureusement, résonnent comme les derniers éclats d’une mémoire fragile.

Il rappelle que l’homme peut être à la fois bourreau rongé par le remords et être candide quand il témoigne encore avec innocence. Un miroir glaçant et essentiel.

Le film sortira en France le 26 novembre 2025, porté par Les Films du Poisson, Les Films Aleph et ARTE France. Sa sortie coïncide avec le centenaire de la naissance de Claude Lanzmann (1925-2018), inscrit dans un vaste programme de commémorations internationales.

Crédits & sortie

  • Réalisation : Guillaume Ribot
  • Montage : Svetlana Vaynblat
  • Production : Les Films du Poisson & Les Films Aleph, avec ARTE France, mk2 Films…
  • Sortie France : 26 novembre 2025

Un film-enquête d’une tenue exemplaire, qui prolonge l’œuvre de Lanzmann sans la réduire, et redonne au cinéma sa place d’art de la preuve sensible. À programmer, à discuter, à transmettre.


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