Après Une Histoire du Génocide des Arméniens, le scénariste Gorune Aprikian et l’auteur Jean-Blaise Djian signent Nous sommes nos montagnes – Une histoire du Haut-Karabagh, une bande dessinée illustrée avec sensibilité par Maria Riccio et colorisée par Ilaria Fella.
Publié par les éditions Petit à Petit, ce récit mêle la puissance de la fiction à la rigueur du témoignage pour faire connaître une tragédie longtemps méconnue, celle du peuple arménien du Haut-Karabagh, aujourd’hui déraciné.

À travers le regard d’Élise, une jeune journaliste française envoyée couvrir le conflit, le lecteur plonge au cœur des bombardements de Stepanakert en 1992, là où civils, soldats et familles tentent de survivre dans le chaos.
Les visages se confondent entre peur, dignité et résistance. L’album déploie une fresque humaine où les destins individuels se mêlent à l’histoire tragique d’une enclave effacée de la carte, mais pas des mémoires.
Des pages documentaires pour comprendre
Fidèle à la démarche de Petit à Petit, l’ouvrage alterne entre récit et chapitres documentaires illustrés.
Ces pages replacent le drame du Karabagh dans un contexte plus large : trois millénaires de présence arménienne, la période soviétique, les guerres de 1988, 1992, 2020 et 2023, jusqu’à l’opération militaire de l’Azerbaïdjan ayant conduit à l’exode forcé de toute la population en septembre 2023.
Un travail colossal de synthèse et de clarté, pour transmettre à tous les clés d’une région méconnue où se jouent des drames universels : perte, mémoire, résistance.

Pour en comprendre la démarche et la sensibilité, Superhero.fr a interviewé Gorune Aprikian, scénariste de l’album.
Entretien avec Gorune Aprikian
Qu’est-ce qui vous a conduit à raconter l’histoire du Haut-Karabagh après votre travail sur le génocide des Arméniens ?
« En fait, j’ai commencé à travailler sur ce projet avant L’Histoire du Génocide des Arméniens. En 2017, je suis allé dans le Haut-Karabagh pour préparer une bande dessinée destinée à faire comprendre aux lecteurs français la situation des habitants de cette enclave menacée. Le projet a rencontré de nombreux obstacles et a longtemps été retardé, mais je ne l’ai jamais abandonné.
Grâce aux éditions Petit à Petit, il a finalement pu voir le jour.
Aujourd’hui, ce livre n’a plus pour but d’alerter sur un danger à venir, car ce danger s’est concrétisé : la population a subi un terrible nettoyage ethnique. Ce livre est désormais la chronique d’un monde qui a disparu. »
Comment avez-vous articulé la part de fiction et la rigueur documentaire dans la narration ?
« Les éditions Petit à Petit ont un véritable savoir-faire dans la création de ce qu’elles appellent des docu-BD : des bandes dessinées où une fiction est entrecoupée de pages documentaires.
Ici, la partie fiction s’inspire de mon expérience personnelle et des témoignages que j’ai recueillis sur place. L’histoire est inventée, mais ancrée dans la réalité.
Les pages documentaires, elles, retracent l’histoire de cette région depuis l’Antiquité. Leur réalisation a été particulièrement difficile, car comprendre le Haut-Karabagh nécessite une connaissance de l’histoire de l’Arménie, de l’Empire ottoman, de la Perse et de la Russie. Résumer tout cela en quelques grandes lignes n’a pas été simple, mais je crois que le résultat est à la hauteur. »
Quels échos ce récit a-t-il trouvé auprès des Arméniens déplacés ou exilés ?
« Le livre sortira le 15 octobre en France, en version française. Pour l’instant, il n’a pas encore été traduit en arménien. Hélas, les déplacés et exilés du Karabagh ont sans doute d’autres préoccupations plus urgentes à affronter.
Mais je me dis que si ce livre permet de sensibiliser des lecteurs occidentaux et les incite à apporter une aide, il pourra, d’une certaine manière, contribuer à améliorer le sort des déplacés. »
Quelle responsabilité ressentez-vous en tant qu’auteur face à la mémoire d’un peuple ?
« J’ai connu les habitants du Haut-Karabagh. J’ai partagé leur pain, leurs rêves. De leur souffrance, il reste en moi une douleur sourde. Ce n’est pas seulement en tant qu’auteur, mais avant tout en tant qu’être humain que je me sens proche d’eux.
Il se trouve que j’écris, et c’est à travers cela que je peux être utile. Mais sinon, j’essaierais d’aider avec les moyens et les capacités dont je dispose. »
Enfin, que reste-t-il aujourd’hui du Haut-Karabagh dans votre propre imaginaire ?
« Comme je le disais, c’est une douleur sourde, le sentiment d’une injustice profonde, l’impression que le mal triomphe.
Des gens simples, modestes et courageux ont été chassés de la terre de leurs ancêtres par un dictateur multimillionnaire. Aucune instance juridique ne semble capable de les protéger. Et tout cela se déroule, il faut bien le dire, dans une certaine indifférence — ou ignorance — des opinions publiques, que je peine à comprendre.
Mais dans cette obscurité, il y a aussi des rayons de lumière. Avec ce travail, j’ai vu des mains tendues et rencontré de belles âmes. »
Une mémoire à transmettre
Nous sommes nos montagnes est avant tout un ouvrage de mémoire et de transmission.
Sous la plume sensible de Gorune Aprikian, l’Histoire retrouve des visages et des voix.
Nous sommes nos montagnes – Une histoire du Haut-Karabagh
Scénario : Gorune Aprikian et Jean-Blaise Djian
Dessins : Maria Riccio
Couleurs : Ilaria Fella
Éditions : Petit à Petit
Sortie : 15 octobre 2025
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