Le 10 octobre 1985, Orson Welles s’éteignait à Los Angeles, à l’âge de 70 ans. Quarante ans plus tard, sa silhouette de magicien raconteur, sa voix qui plie le réel, et une filmographie cabossée mais visionnaire irriguent toujours le cinéma. La Cinémathèque française en fait l’axe de sa rentrée avec « My Name is Orson Welles » (8 octobre 2025 – 11 janvier 2026) et une rétrospective annoncée comme la plus exhaustive jamais montée à Paris. Timing parfait pour (re)prendre la mesure de l’ogre – Vous pouvez réserver votre place ici
Le météore : théâtre, radio, Hollywood

Une exposition-événement pour un anniversaire majeur
À l’occasion du 40ᵉ anniversaire de sa disparition, cette exposition s’affiche comme une porte d’entrée magistrale dans l’univers d’un créateur inclassable. Avec quelque 400 œuvres — photographies (Xavier Lambours, Alexandre Trauner, Nicolas Tikhomiroff, Roger Corbeau, Irving Penn, Cecil Beaton…), archives, dessins, boucles audiovisuelles, installations — le visiteur est invité à suivre un parcours scénographique mêlant chronologie et exploration thématique. Parmi ces pièces, une quarantaine d’œuvres plastiques signées Welles (dessins, sculptures) révèlent une facette moins connue de son imaginaire.
L’exposition est organisée en cinq sections, chacune éclairant une étape ou une dimension de sa pensée cinématographique et artistique. Le propos : donner à voir non seulement ses films achevés, mais aussi les processus, les hésitations, les projets inaboutis — rendre sensible ce qu’il y a de créatif dans la rupture et le fragment.
L’initiative est portée par la Cinémathèque française, avec Frédéric Bonnaud comme commissaire, et les conseils scientifiques d’Esteve Riambau Möller et François Thomas. Un catalogue collectif paraît aux Éditions de la Table Ronde pour accompagner l’exposition.
Théâtre, radio, Hollywood
Dès ses débuts, Welles s’impose comme un prodige : il électrise Broadway à 21 ans, et quelques années plus tard imagine pour la radio La Guerre des mondes (1938), un collage sonore si convaincant qu’il entre dans la légende. À Hollywood, son premier film achevé — Citizen Kane (1941), réalisé à 25 ans — installe d’emblée son statut. Il sera suivi par Les Ambersons (1942), œuvre mutilée par les studios, puis par des films comme La Dame de Shanghai, Le Procès, La Soif du mal, Falstaff, chacun tour à tour plongé dans les ombres, les illusions, les langues multiples.
Cette carrière est jalonnée d’audaces, mais aussi de coups de ciseaux, de conflits avec les studios, d’exils, de projets inachevés. Welles n’a jamais été un cinéaste docile : il a voulu composer, quitter la hiérarchie narrative, mêler réalité, métaphore et trompe-l’œil.
Un art total

L’un des traits les plus marquants de son œuvre est l’idée du cinéma comme art total. Son style orchestre le texte, le cadrage, le son, la lumière, la musique. Il dirige ses acteurs avec une maîtrise qui tient du théâtre, tout en construisant des espaces visuels où le regard circule librement. Il jongle entre le plan-séquence et des montages rapides, entre les effets optiques et les ruptures formelles.
De La Soif du mal (1958) à F for Fake (1973), il n’a cessé de réinventer les possibles du médium. Le fameux mémo de remontage qu’il rédigea pour Touch of Evil a permis en 1998 une version restaurée fidèle à ses intentions, un geste posthume de résurrection. Quant à Les Ambersons, longtemps réduit à un montage tronqué, il reste un objet d’obsession : en 2025, des propositions de reconstruction par intelligence artificielle des fragments perdus ont émergé, signe que son aura continue de stimuler l’imaginaire technologique.
Même longtemps après sa mort, Welles ne cesse de ressusciter : en 2018, The Other Side of the Wind, tourné dans les années 1970, est enfin achevé et distribué, croisant les époques, les esthétiques et les générations.
Magicien, bon vivant, icône pop

Au-delà du cinéaste, Welles est une figure de spectacle, un homme de charme et de verbe. Acteur, illusionniste, animateur de télévision, publicitaire (la fameuse campagne Paul Masson « We will sell no wine before its time ») — il cultive une image d’ogre hédoniste, souvent caricaturée. Mais derrière celle-ci, se tient un artisan exigeant, un homme de culture multiple, ouvert sur le monde, fasciné par Shakespeare, par la philosophie, par les formes hybrides.
En guise d’épitaphe (provisoire)
Orson Welles meurt le 10 octobre 1985, peu après une ultime apparition à la télévision. Il ne laisse pas un mausolée figé, mais un chantier ouvert, une œuvre qui continue de vibrer. Quarante ans plus tard, on ne « termine » pas Orson Welles : on le réactive — le livre, l’image, le son, le contraste, l’écart. Et la Cinémathèque nous offre la meilleure preuve de cette résurrection persistante.
Comme le dit Martin Scorsese :
« Regardez les films d’Orson Welles, parce qu’il définit à lui seul le cinéma. »
Et quoi de mieux qu’un petit Blow Up pour cloturer ce funeste anniversaire.
ARTE propose aussi le film This Is Orson Welles, 53 minutes à propos du maitre, visionnable ici : https://www.arte.tv/fr/videos/126987-000-A/this-is-orson-welles/