Il y a des films qui saisissent par leur force immédiate, par la justesse de leur propos, par leur manière de faire surgir le politique dans l’intime. L’Île des Faisans d’Asier Urbieta fait partie de ceux-là. Tourné dans la tension d’un réalisme social proche du documentaire, ce premier long-métrage d’une redoutable précision s’impose comme un thriller humain à la fois délicat et implacable.

Au cœur du récit, une île méconnue mais hautement symbolique : ce bout de terre minuscule au milieu de la Bidassoa, changeant de souveraineté tous les six mois entre la France et l’Espagne. C’est là qu’un corps sans nom est retrouvé, au moment même du passage de relais entre les deux États. À qui revient la responsabilité d’un cadavre flottant entre deux rives ?

Sur cette question glaçante, Urbieta bâtit une fiction nourrie de faits réels, dans un dispositif narratif tendu qui met en scène le couple formé par Laida et Sambou. L’une (Jone Laspiur, tout en justesse), travaille côté français. L’autre (Sambou Diaby, magnifique de douceur et d’inquiétude) est un ancien migrant, témoin d’un drame récent dans la rivière. Ensemble, ils vont chercher la vérité sur cette mort anonyme.
Un territoire, des silences
Urbieta observe les silences administratifs, les lâchetés ordinaires, les mécanismes de déresponsabilisation qui s’enclenchent dès que la question des frontières devient celle de l’humain. Le scénario évite le piège de la démonstration frontale, préférant une mise en tension feutrée où chaque pas vers la vérité dévoile une réalité plus complexe, plus crue.

On aurait aimé, peut-être, que le film élargisse son regard vers l’autre côté de la frontière, notamment du point de vue espagnol, qui n’est qu’éffleuré. Une ou deux séquences d’échange ou d’opposition franco-espagnole plus développées auraient donné plus de densité à l’aspect politique du récit.
Un film fort, sensible, à recommander
Visuellement, L’Île des Faisans est un film superbe. La photographie y est soignée, parfois même picturale, et sait capter la lenteur pesante de ces paysages traversés de drames invisibles. Quelques plans larges manquent – on aurait aimé davantage d’establishing shots pour inscrire plus fortement l’espace dans le récit – et quelques plans serrés supplémentaires sur les visages auraient sans doute permis de ressentir davantage les émotions internes. Mais dans l’ensemble, le film touche juste, porté par une bande originale discrète mais poignante, et un montage qui respecte les respirations du drame.
Produit par La Fidèle Production, avec Arcadia Motion Pictures et Tentazioa, L’Île des Faisans s’inscrit dans une lignée de cinéma engagé et sensible venu du Pays Basque. Un film nécessaire à voir absolument, pour ne pas oublier que les frontières tuent encore, même là où elles semblent n’être que symboliques.