OpenAI et le cinéma d’animation : l’inquiétude des auteurs

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Le projet d’OpenAI de produire un long métrage d’animation généré en grande partie par intelligence artificielle suscite une vive réaction dans le monde de la création. Baptisé Critterz, ce film ambitionne de démontrer la puissance des outils génératifs de la société américaine en réduisant drastiquement les délais de fabrication : neuf mois au lieu de trois ans.

Soutenu par Vertigo Films, filiale de Federation Studios, et financé à hauteur de moins de 30 millions de dollars — un budget sans commune mesure avec les standards de l’animation hollywoodienne — le film devrait réunir une trentaine de personnes et s’appuie sur l’univers d’un court métrage conçu en 2023 par Chad Nelson, désormais intégré à OpenAI. L’entreprise met à disposition de l’équipe ses ressources techniques et ses logiciels de génération d’images et de vidéos, dont DALL-E et Sora. Une première projection est envisagée en marge du Festival de Cannes 2026, avant une sortie mondiale la même année.

Mais du côté des créateurs et créatrices d’animation, le signal envoyé est alarmant. Dans un communiqué commun, l’ARP, la SRF, la SCA, la SACD, la Guilde des scénaristes, l’U2R et l’AGRAF expriment leur profonde inquiétude. Pour ces organisations, l’IA générative menace non seulement les emplois mais aussi la diversité des regards et la qualité des œuvres. « L’outil technologique ne saurait remplacer la sensibilité, la vision et l’engagement des créateurs », rappellent-elles. L’acte de création, insistent-elles, « est un geste profondément humain, nourri d’expériences, de cultures et d’émotions que l’IA ne peut reproduire ».

Cette alerte survient à un moment critique pour l’animation française et européenne. Longtemps reconnue comme un fleuron artistique et industriel, l’animation traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Plusieurs studios ont récemment mis la clé sous la porte, étranglés par la hausse des coûts, la concentration des diffuseurs et la pression des plateformes mondiales qui imposent des cadences rapides et des budgets compressés.

Les producteurs se battent déjà pour maintenir des conditions de travail décentes et assurer une visibilité aux œuvres originales face à la standardisation des contenus. L’irruption d’OpenAI, en affichant lapossibilité de produire « plus vite et moins cher », accentue la crainte d’un nivellement par le bas, au détriment de la richesse artistique et du tissu d’artisans et de techniciens qui font la réputation du cinéma d’animation français.

Le projet inquiète aussi sur le plan symbolique : la mention d’une présentation à Cannes par OpenAI a fait bondir les organisations. Pour elles, un festival qui a toujours mis en avant la singularité des auteurs ne peut devenir la vitrine d’une communication visant à substituer la création humaine par des algorithmes.

Contactée par téléphone, Julie Fabiani, représentante de la Société des Réalisatrices et des Réalisateurs de Films (SRF), détaille les raisons de cette mobilisation.

« Cela fait près de deux ans que nous travaillons sur ces questions d’IA au sein d’un groupe de travail dédié, et nous sommes régulièrement consultés lors de tables rondes ou d’auditions parlementaires. L’annonce d’OpenAI nous a poussés à réagir immédiatement, mais ce n’est pas une découverte », explique-t-elle.

Pour la SRF, les risques sont déjà tangibles :
Droit d’auteur : « L’IA générative détourne le travail des créateurs en se nourrissant de leurs œuvres sans autorisation ni dédommagement. Le système actuel repose sur un opt-out — il faut demander à être exclu — alors que nous défendons un opt-in, c’est-à-dire un consentement explicite des auteurs. »
Emploi : « L’animation repose sur un temps de création long et beaucoup de métiers d’assistanat. Si l’on automatise ces tâches, ce sont des emplois déjà précarisés qui disparaissent. »
Culture : « Aujourd’hui, les œuvres nourrissent l’IA. Demain, ce seront des productions d’IA qui nourriront l’IA. C’est un cercle fermé qui appauvrit la création. Une œuvre artistique reflète une perspective singulière sur le monde, elle implique donc la présence d’un humain, l’art cinématographique repose sur le point de vue du cinéaste. »

Au-delà des menaces économiques et sociales, la SRF souligne aussi l’enjeu écologique. « L’IA a un coût énergétique colossal. À l’heure où l’industrie cinématographique s’engage dans une transition écologique, ce point doit être pris au sérieux », insiste Julie.

J’ajoute pour ma part qu’il serait souhaitable d’intégrer explicitement ce paramètre dans les bilans carbone des productions audiovisuelles.

Pour la SRF, il ne s’agit pas de rejeter en bloc l’IA mais de l’encadrer. Parmi ses propositions : mentionner l’usage d’IA générative dans les génériques, réguler les contrats entre producteurs et auteurs, et clarifier les règles européennes sur l’entraînement des modèles. « L’IA peut être un outil, mais pas un remplacement », rappelle Julie.

Elle renvoie aussi au rapport Geffray, qui insiste sur la nécessité d’« éduquer les jeunes générations à distinguer le vrai du faux », un sujet que la SRF voudrait voir porté par les pouvoirs publics.

La bataille se joue aussi en justice. Aux États-Unis, OpenAI et Microsoft ont été poursuivis, Meta est visée, et le secteur musical multiplie également les actions.

« Le cinéma, l’animation, ce sont des œuvres faites par des créateurs. Se détourner de leur singularité au profit d’algorithmes, c’est appauvrir toute notre diversité culturelle », rappelle Julie.

Au-delà de la démonstration technique promise par OpenAI, c’est une question de société qui se pose : voulons-nous que nos films soient le reflet d’expériences humaines ou le produit d’algorithmes entraînés sur le passé ? Les auteurs préviennent : ce choix déterminera la richesse culturelle de demain.


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