« Photographe par choix. » C’est ainsi que Rosalie Varda résume le premier métier de sa mère, Agnès. Avant même La Pointe Courte, avant Cléo, avant les palmes, les hommages et les colorations bicolores, il y a la photo. Et l’envie d’un métier qui soit à la fois manuel et intellectuel.
Du 9 avril au 24 août 2025, le musée Carnavalet dévoile un trésor méconnu : Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là est une plongée dans l’œuvre photographique de la cinéaste, souvent reléguée derrière son cinéma, mais essentielle à comprendre la liberté de son regard. Un regard nourri de surréalisme, de curiosité, et d’un amour assumé pour l’étrangeté, la noirceur et le sarcasme.
La photo, pour Varda, n’est pas un à-côté. C’est un socle. Dès 1950, elle est inscrite comme artisan photographe. En 1954, elle organise dans sa propre cour sa première exposition. Sa fille, Rosalie, raconte cette époque comme un terrain de jeux créatif : la cour-atelier grouille d’activité, de bacs remplis de photos qui trempent, de boîtes à repique, de pinceaux ultra fins et d’une glaceuse rotative pour les clichés.
Cette vie domestique et artistique dans la cour du 86, rue Daguerre deviendra une scène à part entière de son œuvre. Un studio vivant, qu’elle reconstruit même en décor pour Les Plages d’Agnès (2008). La commissaire de l’exposition, Anne de Mondenard, parle d’un travail de redécouverte de 27 000 négatifs : un fonds dense, organique, qui révèle une Varda photographe aussi prolifique qu’audacieuse.
C’est bien la pratique photo qui permet à Agnès Varda de réaliser son premier film. À 26 ans, elle filme La Pointe Courte avec l’œil d’une photographe. Chaque plan est composé comme une image fixe. Dès lors, son cinéma restera empreint de photographie : lumière naturelle, goût des visages vrais, des cadrages décentrés, des textures rugueuses du réel.
Varda passera toute sa vie à mêler documentaire et fiction, regard poétique et regard politique. Comme si, pour elle, raconter, c’était toujours capter quelque chose entre les deux. Cléo marche dans Paris et la ville devient son miroir intérieur. Fellini pose dans les gravats d’un vieux quartier. Et les « Daguerréotypes », ses voisins, deviennent personnages de cinéma en restant eux-mêmes.
Plutôt que les grands boulevards, Varda choisit les ruelles, les marchés, les gens. Le Paris qu’elle photographie et filme est un Paris à hauteur d’humain. La rue Mouffetard, les glaneurs, les voisins commerçants, les femmes surtout. Dans L’une chante, l’autre pas, elle recrée une boutique de photographe peuplée de portraits féminins au regard résigné. Pour mieux les faire exploser en couleurs et en liberté par la suite.
L’exposition évoque aussi les projets inachevés, les essais, les portraits de Calder, de Seyrig ou de Catherine Deneuve dans la cour, les photos de tournage, les installations tardives, comme cette sculpture de sa chatte Nini dans l’arbre de la cour-jardin, son dernier geste artistique.
Rosalie Varda nous accompagne dans cette exposition. Photo Guillaume Louyot / Onickz Artworks.
Ce que l’exposition donne à voir, ce n’est pas qu’un Paris disparu ou une rétrospective classique. C’est la matière même de la création d’Agnès Varda : ses outils, ses doutes, ses jeux, ses éclairages, ses visages, ses silences. Une œuvre qui a traversé plus de soixante-dix ans sans jamais se figer, une œuvre proche, joyeuse, exigeante et libre – comme Paris peut l’être quand on prend le temps de la regarder.
À découvrir au musée Carnavalet, entre la place des Vosges et la mémoire vive des artistes.
https://www.carnavalet.paris.fr/expositions/le-paris-dagnes-varda